Premier post relatif à la série EnvironnementScolaire. Mon intention est de suggérer des applications (potentiellement développables) qui hybrideraient décisions architecturales et contenus/dispositifs numériques. Les pistes abordées ici naissent d’une réflexion en relation avec le projet de centre d’éducation expérimentale de Reggio Emilia. Cependant, les thèmes explorés concernent tout type d’espace d’apprentissage: organisations saptiales, mémoire partagée, visusalisation de l’invisible, information sensorielle.
La réflexion sur l’architecture scolaire peut s’aborder depuis divers champs (territorial, social, culturel, économique…). L’une des constantes que nous allons explorer est la relation qu’entretiennent ces espaces dédiés avec l’éco-système dans lequel ils agissent. Selon Philippe Meirieu, expert français en sciences de l’éducation et de la pédagogie, attirer le regard des plus jeunes sur les enjeux environnementaux constitue une mission fondamentale. Cette préoccupation actuelle, dit-il, exige l’acquisition de “réflexes, comportements (…) nécessaires à la survie de la planète”. Il s’agit également “d’introduire une perspective nouvelle, une manière originale de penser le monde comme un système complexe” dans lequel chacun puisse être perçu comme un élément solidaire, puissant et actif. Bien que cet enseignement soit en mesure d’être transmis dans le cadre d’un enseignement traditionnel, nous pourrions imaginer que ces idées et pratiques puissent être transmises par le biais d’un support immersif: le bâtiment scolaire lui-même.
Visualisation ludique de données environnementales dans l’environnement scolaire
Avant d’être réellement conscient de la situation environnementale de notre planète, tout individu doit s’imprégner de connaissances relatives à divers domaines. Encore loin de ces préoccupations, l’enfant attribuera d’avantage d’importance à ses sens. Dans La Représentation de l’espace chez l’enfant (1972) Jean Piaget, spécialiste du développement infantile, explique qu’entre 2 et 6 ans s’adapte affective et intellectuellement au monde qui l’entoure grâce au jeu symbolique. Ainsi, un environnement architecturale conçu comme un instrument pédagogique pourrait-il aiguiller leurs comportements vers une certaine conscience et responsabilité?
Très tôt, l’enfant apprend à estimer la relation topographique entre les objets et la valeur fonctionnelle de certains éléments qui constituent l’espace construit proche (porte, fenêtre, interrupteur…). Mais la question de l’environnement souffre d’une dissimulation spatio-temporelle qui attribue à son urgence un caractère abstrait: les conséquences environnementales de nos actes sont rarement visualisables directement.
Que surviendrait-il si l’édifice scolaire révélait les flux, habituellement invisibles, de son activité? Par exemple, à travers la présence d’indicateurs de consommation énergétique ou de situations climatiques anormales… Et si nous imaginions une école augmentée de sentiments qui pourrait éprouver (et montrer) de la tristesse lorsque la lumière d’une salle vide resterait allumée? Ou bien lorsque les enfants laisseraient couler l’eau du robinet trop longtemps?
Responsabilité
Je pense que l’architecte ne pourra jamais imposer à la société civile l’adoption d’un comportement “responsable” selon ses convictions propres. Cependant, face à des usagers curieux, tel des enfants, provoquer l’emploi habituel de gestes durables me semble envisageable par le biais d’une expérience spatiale immersive durant/dans laquelle chacun s’implique en faisant ce qu’il aime.
1. Émetteur (enfant ou prof.)
2. Support de transmission de contenus numériques: donnée/images/son/vidéo
3. Récepteurs
Mais qu’entend-on par intégrer le numérique au milieu scolaire? Intégrer ou ajouter de tels dispositifs dans un espace donné signifie repenser la façon dont l’hybridation entre espaces physiques et espaces numériques s’opèrera. Aujourd’hui, dans les lieux de savoir, certains usages technologique reviennent:
– Production/gestion de mémoire (numérisation de contenus imprimés…); question des espaces de stockage.
– Favoriser l’innovation organisationnelle et la concertation entre acteurs de la communauté scolaire à travers le partage d’informations; création d’espaces de dialogue.
– Profiter de la ludicité de certains outils numériques et objets communicants pour capter l’attention de l’élève; on parles d’espaces augmentés.
– Comprendre l’historicité d’une technologie et développer la créativité par l’appropriation et l’expérience; espaces d’émancipation.
Générer, partager, archiver des données utiles à la modification et l’appropriation d’espaces scolaires disponibles. Ces “dossiers” numériques forment une extension de l’espace d’apprentissage initial à même de favoriser la constitution d’une plateforme de dialogue entre les acteurs de la communauté scolaire
Sur la base d’une cartographie des espaces “oubliés” (que personne n’utilise), les enfants pourront imaginer et proposer leur idées d’occupation. À Reggio Emilia, les enfants manipulent en permanence des matériaux et développent leurs sensibilités architecturales. L’expérience consistera à passer d’une maquette à une petite construction collective éphémère.
1. Espace initial
2. Volume oublié (forme complexe): visualisation numérique
3. Volume disponible simplifié
4. Échelle à partir d’une figurine
5. Maquette à modéliser (scan ou photogrammétrie)
6. Intégration, adaptation et construction
Percevoir l’invisible
En vivant dans un espace, l’individu développe des automatismes. La conception architecturale repose sur l’emploi d’éléments aux performances mécaniques complexes et aux impacts variables. Dans de nombreux cas, les solutions proposées tendent à éloigner l’usager de l’impact environnemental de ses actes. Mais l’environnement scolaire pourrait constituer une interface ludique et symbolique entre l’apprenant et son milieu. Acquérir cette conscience en intervenant (régulant) le foncitionnment d’un microcosme (le bâtiment) est une façon didactique d’introduire les notions de “système” et de globalité” qui aujourd’hui comptent. Chaque besoin ou plaisir individuel se transformerait alors en un “exercice” de résolution d’un “problème” global. Biensur, pour un enfant tout devra avoir l’air d’être un jeu!
Plein / vide, beaucoup / peu, froid / chaud, douloureux / agréable, haut / bas, long / court…
Cette application a pour objectif d’enseigner la juste consommation de l’eau et de l’électricité à l’école. Entre abstaction et figuration, par l’utilisation de dispositifs analogiques et numériques , le support architectural permettra la combinaison de vocabulaires graphiques compréhensibles par de jeunes usagers
Pour la majeur partie des consommateurs, le fonctionnement des productions industrielles et architecturales reste abstrait. Il s’agit de révéler le “squelette” et les “organes” qui sont à l’origine du confort qu’offre le bâtiment. Des parcours (eau, air, électricité…) d’habitude cachés convertis en outils pédagogiques.
Support architecturaux augmentés (numérique et analogiquement)/ Il s’agit d’associer des données climatiques essentielles (peut être évidentes pour un public adulte) à des actions quotidiennes et des faits concrets: quoi manger? comment s’habiller? que faire pour profiter de l’extérieur? comment adapter l’espace intérieur à l’environnement extérieur?…
Lors de la conférence organisé par Ars Industrialis durant le Salon européen de l’éducation 2012 (Paris) et intitulée L’éducation, vingt ans après l’apparition du World Wide Web, le philosophe Bernard Stiegler partageais qu’il était…
… absolument hostile à l’introduction du numérique dans les niveaux élémentaires pour une raison méthodologique qui consiste à dire que pour pratiquer une technologie, il faut connaître les technologies qui ont permit leur production. Si non, on ne peut pas avoir (…) un point de vue critique. La condition de la critique est la connaissance et la compréhension de l’historicité d’une chose. Le contenu des programmes scolaires se fonde sur cette base.
Et il est vrai qu’offrir à l’espace scolaire un lot technologique développé par les acteurs du marché de l’Education présente un danger: celui d’octroyer une majeure importance au statut de moyen technique de l’outil au lieu de valoriser l’environnement socio-technique qu’il enrichit. Dans ces premières propositions destinées à un environnement préscolaire, j’ai tenté de clarifier la possible relation entre la donnée numérique et son contexte pratique de génération et/ou d’utilisation. Disons simplement que si usage désinformé de technologies il y a, la dimension magique du processus numérique devrait en tout les cas s’avérer minime par rapport à l’importance (complexité) de l’information concrète perçue.
Pour finir, je vous laisse apprécier un extrait du vocabulaire d’Ars Industrialis:
Écologie (de l’esprit).
La discipline nommée « écologie » n’est pas tant la science du milieu que celle des relations d’un être vivant à son milieu. L’écologie, telle que nous la définissons, n’est ni la science d’unenvironnement objectif, ni la protection de ressources quantifiables, ni même la question de la nature, car la question de l’écologie est celle de la culture avant d’être celle de la nature.
Si l’esprit a un milieu qui évolue, et si ce milieu est originairement technique (du silex taillé au silicium des ordinateurs en passant par le biblion du Saint Esprit), alors, de même qu’il faut se soucier de la qualité des milieux naturels afin de préserver leur fécondité future, de même, il faut se soucier de la nature des milieux psychotechniques dans lesquels naissent et se développent de futurs esprits. Il faut présentement aborder la question écologique à partir du capitalisme culturel. Notre milieu de vie est définitivement industriel, et cette industrie est désormais le milieu de notre culture, c’est à dire de notre esprit, et c’est pourquoi nous parlons d’écologie industrielle de l’esprit. De ce point de vue écologique, la question esthétique, la question politique et la questionindustrielle n’en font qu’une.
L’écologie de la nature est une dimension de la question de l’écologie de l’esprit, c’est à dire d’une écologie générale des milieux : naturels, techniques, institutionnels, symboliques, etc. L’écologie de l’esprit conditionne en effet la résolution des problèmes d’écologie naturelle : si l’on veut modifier leur comportement, il faut changer l’esprit des consommateurs qui détruisent et jettent avant tout pour compenser une misère symbolique systémiquement installée et entretenue par des industries culturelles toxiques.
Autrement dit, la véritable question de l’écologie n’est pas celle de l’énergie de subsistance (épuisement des ressources fossiles), mais celle de l’énergie d’existence (épuisement de l’énergie libidinale).